Présentation de « L’espace domino »

Médiathèque de Cahors, 21 avril 2012, à l’invitation de Pascal Poyet

Lorsque Pascal Poyet et Françoise Goria m’ont ouvert leur espace éditorial pour y faire un livre, je leur ai tout de suite demandé s’ils pouvaient m’accorder deux livres, et non un comme la règle éditoriale le supposait tacitement. Deux livres non nécessairement consécutifs, mais conjugués. Une sorte de domino parce qu’aborder les cordels avec deux moitiés de domino me semblait la meilleure façon d’interroger leur espace et en même temps d’explorer en acte les questions que je me posais sur nos espaces possibles. C’est ce que je voudrais vous expliquer en quelques mots avant de lire quelques passages de ces livres.

Demander deux livres, n’était-ce pas la réaction maladroite d’un auteur plus soucieux de protéger sa parole que de comprendre le principe et l’originalité de l’espace proposé ? Tenter de gonfler désespérément un espace trop petit, en le doublant, ne serait-ce pas une façon un peu grossière de contourner la contrainte du cordel ? Il est vrai que cette contrainte est sévère : une seule feuille recto-verso pliée en quatre, et donc fractionnée en petites pages pleines de marges… Mais à quoi bon demander plus d’espace à remplir ? Dit-on mieux les choses en ajoutant des pages les unes à la suite des autres dans un deuxième ou un vingtième tome ? À quoi bon étirer à perte de vue un espace à une dimension ? Et d’abord que cherche-t-on à saisir ?

Non, la contrainte du cordel est sévère mais elle est juste. Une feuille, c’est la légèreté même. C’est la vanité assumée de l’écriture et de tout ce que nous faisons. À quoi bon deux feuilles si une est peut-être déjà trop ?… Et puis, rien n’oblige à considérer que l’espace d’une feuille ne doit exprimer qu’une chose, selon l’injonction un texte, un message. Même un espace de grandeur limitée doit pouvoir accueillir de nombreuses dimensions. Une chose a toujours plusieurs aspects. Nos soucis sont innombrables et partent toujours dans mille directions. Ce ne serait pas rendre justice à un livre, même restreint à une feuille, que de le réduire à l’enchaînement linéaire de ses phrases.

L’espace du cordel radicalise la question de l’écriture : comment faire entrer quelques-unes des multiples dimensions de notre espace mental dans une simple feuille ? Ce qui m’a tout de suite séduit dans l’idée de cordel, c’est qu’il s’agit peut-être d’une simple feuille recto-verso, mais pliée en quatre. En ouvrant un cordel, on n’a pas affaire à deux pages, mais à huit petites pages montées en paires. Autrement dit, c’est tout un espace qui se déplie, avec un endroit et un envers, sans qu’on sache jamais très bien d’ailleurs dans quel sens l’aborder et le lire. Après avoir lu la première page, comment entrer à l’intérieur du pliage ? Faut-il couper les pages comme on ouvrait les livres d’autrefois, coupe-papier à la main ? Ou bien déplier la feuille, mais alors de quel côté pénétrer et dans lequel des ventres du livre, car il y a une première cavité, petite, et puis une immense, elle-même pleine de replis… Lorsqu’on ouvre un cordel, on est frappé par l’impossibilité de mettre en vis-à-vis les différentes pages déployées et par l’indétermination de l’ordre de lecture.

Ces questions de morcellement et d’indétermination se sont trouvées en concordance avec de plus anciens travaux que j’avais faits sur les représentations de l’espace. Le jeu de domino m’était apparu comme un espace particulièrement propice pour déployer nos inquiétudes, un moyen tout à fait intéressant de les analyser, de les mettre en perspective, d’en jouer et ainsi de nous en distancier ou d’en rire.

Si je voulais mettre en action l’espace du cordel, il fallait le surjouer, surjouer le morcellement du pliage, et en quelque sorte l’accuser. Un cordel, ce n’est pas simplement un livre petit, réduit à une feuille. Pour en explorer les dimensions cachées, un seul exemplaire n’était peut-être pas suffisant. Il fallait prendre une extériorité. Partir de deux exemplaires moins pour augmenter l’espace en le doublant, que pour le morceler en le dédoublant. Il fallait d’emblée l’éventrer, le diviser comme un domino et ouvrir une dimension entre deux livres distincts, dissociés comme deux moitiés irrémédiablement séparées, et pourtant inséparables, qui voient chacune les choses d’un point de vue différent. Ou si l’on veut, comme un couple qui ne demande qu’à rapprocher ses morceaux d’une façon ou d’une autre. Mais si l’on y réfléchit, ces rapprochements ne sont possibles que si nos morcellements extérieurs se prolongent à l’intérieur de nous. Dans les deux livres contrat maint, chacune des petites pages résultant du pliage est divisée en deux par une barre verticale qui marque un nouveau dédoublement. Un cordel de huit pages devient ainsi un ensemble de huit dominos, chacun fait de deux toutes petites pages. Deux cordels, ce sont potentiellement seize dominos, trente-deux petites pages… Voilà un espace qui commençait à se montrer accueillant pour des inquiétudes. Au moins permettait-il d’introduire quelques thèmes, confrontés pour la circonstance.

Un jeu de dominos ordinaire associe sept thèmes : le 0, le 1, le 2, le 3, le 4, le 5 et le 6. Les différentes pièces du jeu représentent toutes les combinaisons possibles de ces sept thèmes : 0-0, 0-1, 1-1, 0-2, etc., jusqu’au double 6. C’est l’espace du jeu de domino, qui demande ensuite de se confier au hasard pour dessiner un chemin. Un autre chemin…

Dans les deux cordels, le 0 représente la page blanche. Le 1 prend la question de l’espace pour motif, le 2 celle du nom, le 3 celle du domino, le 4 la question de l’analogie, ou de la duplicité.

Il n’y a plus dès lors qu’à déployer les quinze combinaisons qui résultent de ces cinq thèmes, et à accoler comme on veut les éléments de ce texte modulaire et changeant, en suivant le jeu des analogies entre les moitiés de diptyques.

L’espace global des deux cordels offre une seizième page, utilisée par la table des matières. Celle-ci explicite l’ordre accidentel qu’a pris le jeu des quinze dominos pour composer les deux livres. Evidemment on ne peut pas s’empêcher de penser que les dominos auraient pu se combiner différemment. On pourrait même imaginer découper les pages selon les pliures du papier pour rendre les dominos mobiles et construire un autre texte. Mais le jeu de composition peut être fait mentalement en se servant de l’espace de libre circulation offert pour essayer des ordres de lecture différents.

Voici quelques uns de ces dominos.

Livre I, L’espace Domino

« Au départ, l’espace, c’est une question de liberté. Comment dépasser les deux dimensions du plan de façon à pouvoir circuler librement et effectivement dans ce plan sous autant de dimensions qu’il nous est nécessaire ? La technique de la perspective et du point de fuite permet bien de représenter une troisième dimension, mais ce n’est qu’une dimension de plus, et ce n’est qu’un espace extérieur, un réceptacle imposé. Alors que l’espace dont nous avons besoin doit être un révélateur et un tremplin.

Plus mes idées se déploient, plus je me morcelle. Plus je rencontre les autres, plus mes personnalités se dédoublent. L’autre me dédouble. Un vrai fracas quand j’y pense. Il y a des morceaux partout, des grands, et de tout petits. J’ai essayé des pseudonymes pour saisir les morceaux. Mais ça ne tient rien du tout. Ce n’est qu’ajouter une division arbitraire. Ça ne colle pas. À ce compte-là, s’il faut tout tenir ensemble, un seul nom fait aussi bien l’affaire, mon pauvre nom.

Le domino, par exception, c’est un espace supportable. Un ensemble de pièces, chacune divisée en deux. À chaque fois, il y a deux figures en une. La rencontre crée une dimension nouvelle, par la réflexion et les oppositions que les deux moitiés en miroir entretiennent. On échappe aux deux dimensions de la feuille de papier. C’est une occasion notable, sinon de comprendre, du moins d’intégrer les éléments hétéroclites qui nous constituent.

Un domino, c’est un tout, un diptyque, mais c’est en même temps deux moitiés qui se gênent et se repoussent. Chacune cherche dans d’autres dominos à se rapprocher de moitiés qui lui ressemblent. Comme si, par une sorte d’aimantation, elle devait se détourner de son double pour se tourner vers les autres. En soulignant les tensions du double « interne », la ligne centrale du domino suscite le double « externe », le diptyque à faire.

En opposant deux figures dans une même pièce, le domino renvoie chacune aux autres figures du jeu. Il se crée des similitudes et des analogies qui ouvrent des espaces de circulation. On l’éprouve petit à petit, en marchant d’une figure à l’autre. La marche décrit cet espace. Les dimensions se multiplient à cause des relations modulables et multiformes qui se nouent à travers la pièce. L’espace, c’est le domino. Il a son rythme et ses ruptures.

Un domino, c’est toujours bancal, incomplet. Toujours il manque quelque chose, à cause de cette moitié différente qui reste attachée à chaque figure et complique son identité. Les deux moitiés d’un domino se contredisent dans la même pièce, et les dominos se contredisent entre eux. De l’ensemble de ces répulsions et de ces attractions, il résulte un espace pourvu d’autant de dimensions que nécessaire.

Dans la réalité, les lieux de vie ne peuvent jamais tous être placés chacun à côté des autres. C’est leur chance. Mais si nous ne pouvons pas les rapprocher physiquement, nous pouvons circuler de l’un à l’autre. Non seulement en pensée. Marcher génère un espace entre les lieux. C’est le principe d’une exposition. Même en pointillé, il se circonscrit un lieu de lecture. Cela permet de changer de point de vue et de donner aux choses des dimensions nouvelles.

Le mouvement physique d’un endroit à l’autre établit des correspondances. En même temps, la déambulation mentale décrit un lieu de déambulation physique. Chacune entraîne l’autre. Elles font vivre un espace. Au moins, il y aura eu cela, de l’espace généré et parcouru entre nos parties. À chaque marche, c’est une lecture nouvelle. Et on peut changer de règle en cours de lecture. Si marcher avait une mission, ce serait de montrer nouvellement notre réalité.

En principe, réunir mes personnalités sous une idée, une apparence ou un nom qui les résume, devrait me faciliter la vie. De toute façon, c’est une idée dont on a du mal à se défaire. Préserver un sentiment d’unité personnelle, d’identité individuelle et d’unicité du réel, c’est une idée qui a pour elle la commodité. Qui est dupe ? Qu’un nom fasse l’union, cela en dit long sur la solidité du montage. Cela se voit que c’est fabriqué. Mais il n’est pas une fatalité que cela nous paralyse. »

Livre II, Méthodes pour échapper à l’analogie

« Nos gestes et nos lectures varient, se répètent, se croisent, se décomposent. Et cette activité même désespère les lectures automatiques qui voudraient les unifier sous un même « cela me fait penser à ». Les ressemblances se contredisent, se dispersent, se complexifient. Une vie, dans le flux de ses contradictions singulières, finit toujours par faire un peu vaciller les repères et par dérouter les reconnaissances.

S’insurger contre l’analogie non parce qu’elle fait voir autre chose que ce qu’on voit – c’est ce qu’on espère d’elle – mais lorsqu’elle ne laisse plus voir que cette autre chose. Résister à l’analogie, c’est résister à confondre, ou plutôt à devoir le faire d’une seule manière. Un même geste peut ressembler à plusieurs autres. On voudrait au moins que l’analogie ne nous fasse pas retomber dans l’ornière dont elle promettait de nous faire sortir.

Bientôt, fini de jouer. Les dominos rentreront dans une boîte. Pour l’instant la boîte est vide, mais c’est là qu’ils finiront par se ranger. Tous peuvent y tenir. Ils la rempliront complètement. Elle est faite pour cela, même si elle paraît étonnamment petite. On est toujours surpris qu’une fois repliées les choses puissent tenir si peu de place. Une exposition est un tout provisoirement déployé et exhibé. J’ai quelques jours pour tirer des conclusions.

On voudrait que nos vies disent quelque chose et se retranchent derrière un sens clair. Mais faut-il demander à l’analogie de s’arrêter en chemin et de nous livrer à un sens univoque ? Quel secours attendre d’elle sinon d’établir des correspondances entre nos parties, de sorte qu’en chacune nous puissions voir en même temps cette partie et une autre, et jouir de l’une par l’autre ?

C’est le même voyage qui se poursuit. Je continue dans un autre carnet, mais c’est au fond le même. Grâce aux ruptures de l’espace, je continue de marcher. Pourquoi devrais-je faire du nouveau ? Il serait plus raisonnable de changer de regard et de trouver du nouveau là où il n’apparaît pas à première vue. C’est l’espoir des philosophes. Il leur importe plus d’explorer la liberté du regard que de montrer la nature du spectacle. Et rien ne paraît plus nouveau que ce qui ressemble à du connu. »

Commentaire

En relisant ces livres, je suis frappé par la complexité de ma vie, par ses dédoublements et ses fractionnements. Et je me prends à sourire en imaginant dresser l’inventaire actuel de mes morceaux pour les faire entrer dans un jeu de dominos. Quoi qu’il en soit de ma vie personnelle, l’idée de domino m’a accompagné de près ou de loin dans la composition de la plupart de mes livres, sinon tous. Ils marchent le plus souvent par paires, ou par diptyques, chacun renvoyant parfois moins à son double qu’à d’autres livres dans d’autres diptyques. Il en résulte une sorte de bibliographie en domino, un espace de déploiement où les choses se répètent toujours de façon différente, tout en s’appelant les unes les autres. Les livres eux-mêmes sont souvent faits d’au moins deux parties non totalement réconciliables, qui les incitent à se tourner vers d’autres horizons pour chercher un complément. Un livre ne comprend-il pas toujours une certaine incomplétude ? Ne reste-t-il pas une part d’insaisissable ?

Mer à faire, par exemple, paru aux éditions Éric Pesty en 2005, présente en vis-à-vis un carnet et la transcription à l’infinitif de ce carnet. Je vous en lis la préface :

Le texte en question ne se laissant pas saisir, on a tenté de le circonvenir par deux langues différentes, le français — mais cela aurait pu être une autre langue avec narrateur, sujets, verbes et compléments — et l’infinitif, une langue pour verbes et conjonctions, où le sens des choses et de nos vies est encore ouvert.

Il n’est pas certain que le texte visé se laisse mieux saisir de ce double point de vue, mais si l’on monte l’une contre l’autre les deux transcriptions — pour le français et pour l’infinitif — on peut espérer qu’un peu de ce qui ne sera pas pris d’un côté se libérera et s’épanouira de l’autre. Et ainsi, prenant et laissant, saisissant et libérant, profitant des luttes que les langues mènent pour nous, pousser chacun nos insaisissables rameaux.

Mer à faire est donc en lui-même un diptyque, renvoyant à d’autres livres qui explorent les possibilités de la langue infinitive, notamment en philosophie. Il fait partie d’un plus grand diptyque, Dénuer Dessiner Désirer. L’autre livre de ce diptyque, 36 morceaux, reprend la question de la transcription, mais en dessin, ce qui le rapproche d’autres livres utilisant le dessin comme moyen d’interrogation. Et ainsi de suite, avec des livres dans les livres, des dédoublements et des emboîtements. Jusqu’à mon dernier livre, intitulé Creuser la cervelle, variations sur l’idée de cerveau, qui vient tout juste de paraître aux PUF.

Quand on parle du cerveau, c’est généralement pour en vanter les capacités exceptionnelles et la complexité fascinante. On s’émerveille de tout ce que fait le cerveau pour nous (et en passant, de l’ingéniosité qu’il nous faut déployer pour le découvrir). Pourtant quelque chose ne va pas avec cette idée de cerveau. Comment gagner des libertés à l’égard de l’organe dont on a parfois le sentiment qu’il pourrait devenir une prison pour la pensée ? Comment lui trouver une place et varier notre distance à son égard ? Peut-on parler du cerveau autrement que pour nous y asservir et nous y réduire ?

Parmi toutes les questions abordées dans l’ouvrage, celle du double s’est avérée cruciale. Sur le fond, d’abord, parce que nous construisons le cerveau comme un double de nous-mêmes, à qui nous prêtons nos facultés :

Il se peut que la science se mette dans l’idée de chercher dans le cerveau des « dispositifs éthiques fondamentaux ». Peut-être trouvera-t-elle des explications à donner à nos diverses attirances ? Mais pourquoi supposer que la solution des problèmes éthiques soit inscrite quelque part dans le cerveau ? Car toutes les solutions que nous pouvons imaginer doivent y être inscrites pareillement. Entre toutes, pourquoi la science trouverait-elle ce qu’il faut décider, le choix à faire ? Ce qu’elle arrêterait là-dessus ne serait jamais que le reflet de la compréhension des problèmes éthiques par la communauté de spécialistes du cerveau. […] Si l’on ne retient de nos idées que ce qu’on voit s’inscrire d’elles dans le cerveau, pourquoi l’une tirerait-elle plus de valeur morale qu’une autre de son inscription neurale ? Pour une fois, le déterminisme donne corps à une idée de liberté plus que de servitude. Qu’on ne s’imagine pas trouver dans l’étude du cerveau une justification à se complaire dans des états de dépendance ou à organiser le ressentiment en morale de façon à maintenir esclaves les autres hommes. […] Alors que tout le langage de la révolte et de la résistance attend ses services : refuser de renoncer, de déserter, de consentir, de se plier, de s’aliéner, de s’abaisser, de se rétrécir, de se réduire, de se sacrifier, de s’annihiler… 

p. 279 

Un livre, c’est une question d’écriture. Une place qui se cherche, où il faut se battre contre la langue qui nous attire souvent loin de ce que nous voulions. Les interrogations sur les conditions cérébrales et matérielles de la pensée rejoignent des interrogations sur d’autres conditions de la pensée, notamment grammaticales et spatiales que nous évoquions à l’instant. Pas d’enchaînements implacables. Pas de position savante et arrêtée. Le livre est composé d’une suite de méditations, ramassées en brefs chapitres. Des variations, comme en musique, avec des changements de thème d’une variation à l’autre, et des reprises de thème de loin en loin, quoique de façon différente à chaque fois. Chaque variation est une chance de prendre de la distance vis-à-vis des autres, comme dans l’espace domino. En croisant des regards délibérément hétérogènes, sans tenter d’inutiles réconciliations, on ouvre à la pensée autant de garde-fou contre ses élaborations trop réductrices ou trop enchanteresses. Et surtout autant de dimensions entre lesquelles elle peut s’actualiser, autant d’espaces où elle peut s’échapper, se déplacer, circuler et passer.

Diptyc’Domino

Je l’avais expérimenté dans une exposition de dessins en 1990, construite suivant cette idée. Elle était intitulée Diptyc’Domino. Il s’agissait d’un jeu de 36 dominos dans lequel les chiffres avaient été remplacés par des figures dessinées sur le thème de Saint Georges luttant contre le dragon. La question qui se posait à travers cette histoire de lutte contre nos dragons était de savoir comment saisir ce que nous cherchons. C’était la question de l’insaisissable et de nos tentatives pour le circonvenir.

Dans Diptyc’Domino, le 0 restait page vierge, le 1 prenait le trait pour motif, le 2 devenait oiseau, le 3 était arbre, le 4 dragon, le 5 cheval et le 6 Saint-Georges. Chacun des thèmes se présentait sous une forme légèrement différente à chaque reprise. Sauf la page blanche, et encore… N’est-elle pas modifiée, comme tous les autres motifs, par l’autre face du domino ?

Lors de l’exposition, les diptyques formés par l’accouplement de deux motifs étaient étalés sur un tapis de jeu en mousseline verte, tendu au mur. Ils sont ensuite devenus un livre, aux pages non reliées, de façon à prolonger le jeu. Le montage des dessins en diptyques et de ceux-ci en jeu de dominos visait à créer un espace de libre circulation entre les différentes pièces. Car il est vite clair que le jeu des oppositions et des analogies entre les moitiés de diptyques rend tout ordre accidentel parmi tous les parcours possibles d’une pièce à l’autre.

Cet espace d’exposition, ne pouvait-il devenir un espace d’écriture ? Ce sont les notes mêmes que j’avais prises au cours de l’exposition qui ont servi de matériau pour tenter l’expérience dans les livres contrat maint.