Présentation de « L’infinitif des pensées »

comprenant Les carnets d’Ouessant

Libraire Michèle Ignazi, Paris 4e, 15 mars 2000, lors de la parution du livre aux éditions de l’éclat

Maintenant que l’infinitif est devenu une langue naturelle, je peux vous en parler, en ultime préface. En parler, vous l’avez compris, au nom d’une minorité, celle des gens qui parlent infinitif.

Il y a quelques années, il pouvait paraître paradoxal de proposer l’infinitif comme langue de philosophie, tellement la philosophie, et pas seulement la métaphysique, s’est attachée à des noms tels que l’être, l’essence, le concept, la vérité, la liberté… Un départ à l’infinitif demandait explication.

Seulement, si l’infinitif était la langue à penser et à méditer que je croyais, elle devait d’abord le montrer d’elle-même, sans qu’il y ait à l’expliquer. Si elle était non pas abstraite, comme il peut le sembler au premier abord, mais véritablement concrète comme l’eau du bocal où nagent nos questions, je ne dis pas que cela devait se voir, mais du moins se sentir ou se pratiquer. Et si explication il devait y avoir, c’était après, car c’était une autre recherche, autre chose et autrement. La chance a voulu que je trouve un éditeur qui prenne le risque de le comprendre. Le texte, bien des fois remanié, est paru sous le titre Croire devoir penser.

Maintenant donc, voici le temps de l’explication. Je dis “maintenant”, mais les textes qui font ce nouveau livre ont accompagné l’infinitif avant, pendant et après son essai à la philosophie. On peut dire qu’ils m’ont tracassé pendant une dizaine d’années. Ce qui les réunit, c’est l’étonnement qu’on peut éprouver devant la façon dont nous pensons. Et devant ce que nous pensons, puisque, d’une certaine manière, la façon dont nous pensons, notamment le langage que nous acceptons, les substantifs ou les verbes que nous employons, et plus généralement l’attitude et le ton que nous adoptons, déterminent quelque peu ce que nous pensons.

C’est là que la langue infinitive intervient, comme un procédé expérimental de libération de ce que nous pouvons penser. L’infinitif, et aussi, pour ceux ici qui connaissent mes préoccupations, le dessin. La question est de s’interroger sur la légitimité d’un langage choisi pour s’interroger. De quelque façon que nous nous y prenions, ne prédéterminons-nous pas le résultat de notre interrogation, et jusqu’où ? dans quelle mesure ? Tout travail d’interrogation n’est-il pas sapé d’avance ? Comment le savoir ? Et peut-on le savoir ? Voici les questions sur lesquelles passent et repassent les multiples essais de ce livre.

Je vous propose ce soir de lire le dernier chapitre. Je suis assez d’accord avec l’idée de commencer un polar par la fin pour que le suspense ne gâche pas la lecture. Après tout la façon compte autant que l’énigme. Et elle fait l’énigme.

Nous voici donc au dénouement après les intrigues. Et ce sont aussi de nouveaux essais pour terminer, de nouvelles préfaces pour repartir.