Présentation de « Se confier à l’île »

Avec Françoise Péron, Ouessant, phare du Creac’h, Musée des phares et balises, 18 juillet 2015

I- Écriture : Comment parler de l’île ?

Avec « Se confier à l’île », ce sont deux récits intimes que nous proposons, sur notre propre rapport à l’île, sur ce qu’elle a représenté dans nos itinéraires, et au-delà de ces expériences personnelles sur ce qu’est une île, sur ce qui fait que l’idée d’île et le lieu de l’île sont importants. Et ces deux récits s’entrecroisent et se répondent.

Peut-être pourrions-nous dire quelques mots de la naissance de ce livre, de ce qui nous a amenés chacun à écrire un livre sur la question de l’île et sur Ouessant.

À travers ce livre, nous nous interrogeons sur ce qu’est l’île et sur ce qu’elle représente. Mais la première question que pose le livre et qui est inhérente à son projet, c’est de savoir comment parler de l’île, comment la faire vivre par des mots sans l’enfermer dans des idées.

Ma conviction, c’était que l’expérience de l’île ne peut faire récit continu, qu’on ne peut en parler que par fragments, par petites touches qui petit à petit, mises les unes à côté des autres, vont dessiner un paysage. Et cette fragmentation nécessaire nous parle déjà de l’île, des points de vue multiples qu’elle attire et suscite sans les épuiser.

Lecture, pages 7-8 : « Marie Myth… possibles. »

II- Pourquoi deux voix ?

Je vous dois des explications, car je suis responsable de cette forme.

Parce que tout a été dit, parfois très bien, mais pas toujours. Parce que dire quoi que ce soit peut paraître vain et prétentieux, ou impudique. Mais aussi parce que nous ne pouvons pas faire davantage, pas faire mieux que de dire. En associant deux voix maladroites, vaines, intimes, chacune renvoie l’autre à sa fragilité, à sa particularité, à son intimité, à celles de notre humanité. Cela donne à la fois une proximité et une distance. Dans l’espace ouvert entre-deux, s’ouvre un espace pour une troisième voix, celle du lecteur et pour Ouessant.

L’expérience des « Mots des derniers soins« 

Mon désir était de prolonger l’essai tenté dans « Les mots des derniers soins » en 2008. Dans ce livre, j’avais expérimenté le rapport de deux types de voix, voix de médecins et voix de malades. L’objectif :

  • Tresser les voix sans chercher à effacer les différences
  • Susciter la réflexion
  • Entrelacer deux types de discours montés en contrepoint autour des mêmes motifs, en veillant à ce que les particularités de chacun soient mises en valeur dans le contraste : « Ce dispositif atteindrait son objectif principal s’il parvenait à ouvrir à la pensée un espace de circulation entre les deux dimensions du discours. »
  • Souci aussi de laisser se dessiner entre les points de vue irréductibles qui le traversent un portrait de notre île, Ouessant.

Pourquoi Françoise ?

Pas n’importe qui pour faire la deuxième voix. Je n’ai pas cherché à me contrarier, à me laisser contredire n’importe comment.

Il fallait une vraie voix différente de la mienne, une autorité. Donc deux voix apparemment antinomiques : Françoise, géographe, près de vous ; moi, philosophe, près des rivages.

Et à la fois très proches, étant donné la parenté que je vois entre la géographie et la philosophie (lieux, espaces de pensée, circulations…), et parce que nous sommes unis par notre attachement à l’île, mais surtout par une façon de regarder ce qui nous entoure, avec rigueur, sans se duper, mais avec tendresse.

Une association et une complémentarité

Françoise pouvait dire sur l’île des choses qui me paraissaient essentielles d’y faire figurer, mais que personne à mon avis ne pouvait mieux dire qu’elle, en tout cas pas moi. Notamment pour ce qui est des questions de géographie et de population, car ce sont des modes d’action du lieu.

D’autre part, travailler à l’abri de Françoise, de ce qu’elle avait déjà dit, m’évitait de succomber à le redire et m’incitait à dire autre chose sur les mêmes thèmes, aller plus loin dans ce que j’avais à dire, de mon point de vue de philosophe, ainsi dégagé de ce qu’il « fallait » dire. Des choses qui m’auraient paru trop impudiques ?

Une confiance mutuelle

Se confier à l’île, c’est aussi se confier à l’autre, car l’île appelle à al solidarité. Le livre est aussi une histoire de confiance. Françoise s’est confiée à moi, m’a fait confiance. Elle ne voyait pas bien où on allait. Je la remercie de m’avoir suivie.

Et je me suis confié à elle. Je n’allais pas forcément être d’accord avec sa façon de voir et de dire, ni même avec ce qu’elle allait regarder et choisir comme objet, mais c’est cette opposition que je voulais. Je lui faisais confiance pour dire des choses qui nous élèvent et nous poussent à la réflexion, une voix dont je puisse défendre l’existence, même si ce n’est pas la mienne. Je voulais la mettre en valeur.

Histoire de la réalisation

J’ai proposé le projet à Françoise en juillet 2008 (il y a sept ans), après la parution des Mots des derniers soins. Au début, elle ne voyait pas bien où l’on irait. Nous avons discuté de ce que nous pourrions mettre dans le livre, sans décider de la façon dont on procèderait.

Puis Françoise s’est lancée lors d’un séjour à Ouessant au mois de juin 2010. A ce moment-là, je n’étais pas disponible, pris que j’étais par d’autres livres en cours.

En juillet 2011, Françoise m’a interviewé chez elle, comme beaucoup de gens de l’île, en vue de son livre « Chronique de l’île haute ». Les notes de cet entretien se sont ajoutées aux matériaux que j’avais déjà accumulés sur la question de l’île.

C’est en juillet 2013 (il y a deux ans), au cours d’un séjour de quinze jours à Ouessant, que j’ai écrit ma partie. J’ai coupé le texte de Françoise et j’ai intercalé entre les morceaux des paragraphes de la même taille, qui partaient souvent des mêmes mots qu’elle, mais qui disaient les choses autrement, d’une autre voix, comme un contrepoint en musique. J’essayais à chaque fois de répondre au paragraphe précédent et d’annoncer ou de préparer le suivant, de façon à ce que l’ensemble s’enchaîne avec légèreté. Puis j’ai écrit un avant-propos qui visait avant tout à convaincre Françoise. Après tout, elle ne voyait pas du tout encore dans quel projet je l’avais embarquée, quelle forme il allait prendre.

Je crois que le résultat lui a plu. Du coup, elle a un peu révisé sa partie, mais très peu finalement, et surtout ajouté deux ou trois chapitres en août de la même année. J’ai complété ces derniers chapitres de la même façon que les premiers en septembre. Nous avons envoyé le livre à l’éditeur en novembre.

III- La rencontre avec l’île, une réinvention de soi ?

La rencontre avec l’île a été un choc pour chacun de nous, mais un choc qui a été rendu possible parce que nous étions l’un et l’autre dans certaines dispositions, dans une ouverture. Il a fallu que nous soyons prêts à nous laisser conduire. Découvrir une île, c’est l’apprendre, la comprendre, c’est accepter un changement intérieur, une réinvention de soi.

Au fur et à mesure de nos séjours, notre découverte de l’île s’est faite plus profonde, plus intime ; c’est une découverte qui s’inscrit dans le temps. Petit à petit, l’île est devenue part intégrante de nos vies et de nos cheminements géographiques et philosophiques. Pour cela, vous avez emprunté des chemins assez différents, et pourtant parallèles.

Françoise, c’est par la terre, les hommes et l’intuition que tu as parcouru Ouessant. C’est par sa population que tu vas approfondir ta connaissance d’Ouessant et de son histoire. Et plus que cela, tu vas faire revivre cette histoire, et la transmettre à travers tes livres. Cette expérience d’Ouessant a fait évoluer ta vision de ton métier de géographe. Elle t’a entraînée à suivre une autre voie.

Pour moi, c’est plutôt dans la solitude et le dépouillement que j’ai arpenté l’île, par la mer et par la côte. Je me suis imprégné ainsi de l’île, en notant et en dessinant. Cet apprivoisement de l’île a modifié ma manière de penser et d’aborder la philosophie et l’écriture ?

Effet d’Ouessant

La philosophie n’a pas de leçon à recevoir de la géographie pour ce qui est des théories et des jargons et des façons de procéder qui enferment et bornent. Les théories banalisent et suppriment en voulant saisir, au lieu de laisser échapper.

Se débarrasser de nos peaux, des objets qui encombrent la liberté de penser et de bouger. Enlever ce qui empêche le mouvement et d’être. Sous l’effet des éléments qui balaient, le vent, la mer, et de la situation géographique en avant-poste, à la fois en rupture et en position avancée pour penser, et aussi par l’ouverture à la mer.

Chemin vers un certain dépouillement, place donnée à une indétermination et à une incertitude, propices à laisser être sans enfermer, permettre de s’inscrire sans présupposer, aller à la rencontre sans délimiter d’avance.

Lecture, pages 18-19 : « C’est une autre voie… une autre disposition. »

IV- Qu’est-ce qu’une île ?

En découvrant ou redécouvrant Ouessant à travers nos expériences, nous nous demandons ce qu’est une île, si toute île peut être comprise ou abordée de la même façon. Nous explorons à la fois si l’on peut généraliser nos expériences d’Ouessant à toute île, et ce qui est propre à Ouessant.

Une île, c’est une histoire, c’est un lieu où toutes les traces des différentes époques et des imaginaires (idées) se croisent et se superposent. Une île, ce sont des gens, une société à la fois fermée et ouverte sur l’extérieur.

C’est une géographie limitée à l’horizon illimité.

Ce sont des paysages aussi. Nous en dessinons et décrivons plusieurs dans le livre.

Lecture, pages 76-78 : « De là, on pouvait encore… d’une pensée à l’autre. »

V- L’île, un mythe ?

Et puis, l’île, c’est aussi la possibilité du rêve, de l’utopie, c’est un lieu mythique en quelque sorte. Alors, est-ce le mystère de l’île, son côté parfois insaisissable qui permet le rêve, le voyage, l’imaginaire ?

Lecture, pages 99-100 : « Ce soir… libération. »

VI- Se libérer de l’île ?

Ce livre est aussi le récit d’un cheminement ; il raconte l’évolution de notre lien à l’île, mais l’aventure ne semble pas terminée puisque Ouessant fait partie de nous et de notre vie.

Lecture, pages 127-130 : « Je suis en train d’écrire… nous retrouvons-nous ? »